Blog du Master Interprétariat français/LSF

Mallorie Fanéon a commencé à apprendre la LSF à 14 ans, après avoir vu une émission télévisée. Bac scientifique en poche, elle prend un premier virage et s'oriente vers des études de sciences humaines et un parcours plus littéraire: hypokhâgne puis licence de lettres modernes. Elle entre ensuite dans le monde professionnel en faisant office d'interprète. Souhaitant valider ses compétences par un diplôme, elle s'oriente alors vers une Validation des Acquis de l'Expérience (VAE) à l'Université de Lille. Elle nous décrit ici son parcours atypique!

D'où t'est venue cette envie d'exercer le métier d'interprète français/langue des signes?

À 14 ans, je me souviens d’une émission dans laquelle une personne sourde s’exprimait en LSF. Peu à l’aise avec le travail de la voix, je me suis dit alors que je voulais apprendre une langue sans voix, une langue du corps, et que je voulais la comprendre seule.

Donc au départ, il n’était pas du tout question d’être interprète. La conseillère d’orientation du collège m’a mise en relation avec une personne sourde qui donnait des cours de LSF, près de chez moi. Cette rencontre a changé ma vie ! Il m’a fait découvrir sa langue, son monde, avec une pédagogie impressionnante !

Avec le recul je mesure la chance que j’ai eu de pouvoir découvrir la langue des signes, le monde des Sourds et leur culture à l’adolescence. J’ai l’impression que c’est plus compliqué pour les jeunes aujourd’hui d’accéder à des cours de LSF, dispensés par des Sourds. Pourtant, c’est bien toutes ces années d’apprentissage et de rencontres aux cafés-signe, aux événements bilingues, qui m’ont permis d’apprendre la langue des Sourds et d’en avoir une maîtrise solide.

Vers 18 ans, j’ai rencontré plein d’interprètes dans un festival de contes. Je les ai questionnés et ils m’ont parlé de leur métier, de leurs plannings fous, des situations variées dans lesquelles ils intervenaient.. c’était vraiment passionnant. Ils s’accordaient tous sur un point : un interprète ne s’ennuie jamais ! J’ai su à ce moment là, que je voulais être interprète ! j’ai toujours eu une grande curiosité, me passionnant pour des sujets sans grand lien a priori entre eux  : les sciences, les lettres, la médecine, la danse, la philo, la géographie… Là c’était possible avec un seul métier.

J’ai fait une année d’hypokhâgne, puis une licence de Lettres Modernes. Sur la même période, j’ai effectué des remplacements en milieu scolaire spécialisé auprès d’enfants et d’adolescents Sourds. Pour être honnête, je me préparais tellement que ça ressemblait plutôt à un travail de traduction. À chaque cours, je restituais ce que j’avais préparé la veille. Mais j’ai pris l’habitude de préparer mes interventions, et j’ai travaillé ma mémoire, compétences nécessaires au métier d’interprète.

Pourquoi as-tu choisi la VAE ?

Cela faisait quelques années que j’exerçais sans diplôme, faisant « office d’interprète », dans une région qui peinait à recruter.

Une situation particulière m’a amenée à re-questionner mes qualifications. Pour résumer, c’était dans le cadre judiciaire ; l’absence de diplôme était trop risquée pour la procédure. Cela m’a incitée à reprendre mes démarches en vue de l’obtention du diplôme, afin de faire valider les compétences que j’avais, à mon sens, acquises par les années d’expérience.

J’avais entendu parler de VAE pour d’autres métiers, et me suis renseignée auprès des universités. Le parcours, tel qu’il était proposé à Lille, me permettait de garder un pied dans la vie active tout en ouvrant la perspective de faire reconnaître mes qualifications.

À cette période, je n’envisageais pas un master classique : j’avais acheté un logement, et j’avais un emploi. Revendre mon domicile, renoncer à un poste de travail - et à un salaire - m’éloigner deux années, déménager, trouver un autre logement, cela me semblait trop complexe.

Les modalités d’évaluation proposée par la VAE à Lille, permettent d’allier une vie de famille, un emploi, et un diplôme, même si on vit à plusieurs centaines de kilomètres de l’université. L’équipe de l’université propose un véritable accompagnement dans les démarches administratives, la rédaction du mémoire de parcours, et les évaluations de terrain à l’entrée et à l’issue du Master sont ciblées.

Le parcours me permettait de garder un pied dans la vie active tout en faisant reconnaître mes qualifications.

Comment s'est déroulée cette VAE ?

Super bien. Cela dit, j’ai mis trois ans :

Concrètement, j’ai bénéficié d’un accompagnement de l’université avec des évaluations sur le terrain.

Avant d’entrer officiellement en VAE, j’ai rédigé un écrit et j’ai passé un entretien pour vérifier que je répondais bien aux critères attendus (niveau de LSF, niveau d’études et détail des différents postes de travail que j’avais occupés).

J’ai tout de même dû passer une évaluation de LSF, puisque qu’entre mon apprentissage de la LSF à partir de 1999 et mon inscription au parcours VAE en 2012, il y a eu une réforme et le référentiel européen des langues. De fait, je n’avais aucun document attestant de mon niveau de LSF. Comme je répondais au reste des critères, la VAE a officiellement commencé après une semaine d’évaluation sur le terrain.

Il me semble important de souligner que ce n’est pas une alternative de diplôme mais bien les modalités d’évaluation qui font la particularité de la VAE. Naturellement, il faut trouver un équilibre quand on allie vie professionnelle, vie personnelle, reprise d’études… J’ai aussi rédigé un mémoire retraçant rétrospectivement mon parcours. C’est un travail qui demande de la rigueur et du temps. C’est pour cette raison que j’ai ressenti le besoin de prolonger d’une année .

Qu'est-ce qui t'a plu dans cette formation? Que t'a-t-elle apporté?

La VAE, c’est le même diplôme, donc on doit développer des stratégies d’apprentissage en dehors des bancs de la fac. Cela prend du temps, nécessite un vrai travail d’introspection. Bien entendu, il faut aussi questionner les sourds régulièrement, et être prêt à entendre leurs remarques, parfois bonnes, parfois mauvaises…. Ce n’est pas facile tous les jours, mais cela en vaut vraiment la peine.

Je dirai que ce parcours m’a permis de savoir d’où je venais pour mieux avancer. En gros, je suis une interprète formée par et pour le terrain.

Retracer mon parcours et prendre conscience des compétences effectives que j’avais acquises sur le terrain m'ont permis de gagner en confiance et de me sentir légitime auprès de mes pairs et des personnes Sourdes. Et le diplôme permet aussi d’ouvrir de nouvelles perspectives professionnelles, travailler un peu partout en France…

L’avantage est aussi dans l’individualisation du parcours. C’est un temps où on analyse sa propre pratique professionnelle, un moment où on fait le point sur ce qui est acquis, ce qui reste à travailler. L’interprétation est un métier formidable, passionnant mais qui exige de la rigueur. Il y a un certain nombre de compétences et de techniques à acquérir, un positionnement professionnel spécifique à intégrer.

J'ai bénéficié d’un accompagnement de l’université avec des évaluations sur le terrain, et j’ai rédigé un mémoire retraçant rétrospectivement mon parcours

Où en es-tu aujourd'hui ?

Bien que je travaille sur le terrain depuis 2006, je prends toujours autant de plaisir à exercer en tant qu’interprète, Je vis chaque interprétation comme une aventure. Je m’amuse avec la LSF et le français pour coller au plus juste de ce que les gens ont envie de dire.

Ça fera bientôt huit ans que j’ai mon diplôme !

Le contexte social et économique a beaucoup évolué ces dernières années. Je me suis retrouvée un peu entre deux générations d’interprètes. Autrefois, nombres d’interprètes travaillaient et côtoyaient les sourds plusieurs années avant d’intégrer les formations d’interprètes. Ils avaient un bagage linguistique déjà très solide. Aujourd’hui, la demande des sourds et des employeurs est désormais d’être diplômée du Master avant d’exercer. Ce paradoxe me laissait dans un entre deux, me faisait me sentir comme une usurpatrice dans le corps de métier des interprètes. Depuis le mémoire et l’obtention du diplôme, je sens surtout une évolution personnelle : c’est mon propre regard qui a le plus changé sur mon parcours.

Après dix années dans un service médico-social en milieu associatif, je me suis mise à la visio-interprétation, 2 jours par semaine. Le reste du temps j’exerce en tant qu’auto-entrepreneur.

L’accès à la téléphonie est un enjeu majeur pour les Sourds, tant sur le plan professionnel que personnel. Je suis une accro à mon téléphone, alors je suis ravie de partager cet outil avec eux. Aussi, j’adore rencontrer de nouvelles personnes, qui vivent dans une autre région, et qui, le temps d’un coup de fil, peuvent s’exprimer librement avec leur proches, leurs collègues, une administration, sans se déplacer, comme n’importe quel entendant. Mais toutes les situations ne se prêtent pas au téléphone ou à la visio ; des fois, il vaut mieux un interprète en chair et en os ! Et je reste profondément une interprète de terrain. Je suis ravie d’utiliser un peu moins ma voiture, mais je crois que le terrain facilite la rencontre et les échanges dans la mesure où il n’y pas d’écran ou d’outil qui s’interpose entre les locuteurs. Et les échanges prennent appui sur les mots, les phrases, mais aussi dans un espace donné, une ambiance, une atmosphère. C’est difficile de sentir ça au téléphone. On est vraiment plus dans la relation humaine sur le terrain.

Je travaille régulièrement avec les autres interprètes du secteur. Et aujourd’hui, j’ai trouvé un bel équilibre entre la visio et le terrain.

Le parcours de la VAE est un cheminement. J’ai eu plein de modèles, plein de professeurs et je suis aujourd’hui très fière de mon parcours singulier.

Un conseil à celles et ceux qui hésitent à se lancer dans une VAE?

C’est un parcours en dehors des sentiers battus qui demande beaucoup travail personnel, donc il faut s’accrocher dans la durée.

Je conseillerais aussi de bien choisir son employeur et d’être aiguillé par des professionnels compétents sur le terrain.

La VAE est une opportunité dont il ne faut pas hésiter à se saisir.  On a chacun un parcours de vie qui fait qu’on peut plus ou moins accéder à l’université. Mais on peut accéder au diplôme par cette voie. Je suis certaine que de très bons professionnels se cachent sur le terrain. Vraiment, faites vous connaître et osez ! Le parcours de la VAE est un cheminement. J’ai eu plein de modèles, plein de professeurs et je suis aujourd’hui très fière de mon parcours singulier.

Enfin comme pour tout interprète, soyez curieux, tenaces, et restez ouverts aux rencontres et aux échanges avec les personnes sourdes.

La VAE est une opportunité dont il ne faut pas hésiter à se saisir.