Blog du Master Interprétariat français/LSF

« L'interprète : Un maillon de la chaîne »

Professionnellement, Carole Gutman a vécu plusieurs vies. Sa barque l'a menée progressivement vers le métier d'interprète et c'est en 2006 qu'elle valide son Master à Lille. Spécialisée dans l'interprétation médicale, elle est aujourd'hui une interprète reconnue du domaine et forme même les interprètes de France à cette spécialité... à l'Université de Lille ! La boucle est bouclée !

« En milieu médical, la prise en compte par l’interprète de la compréhension du patient est plus aigüe que dans la plupart des situations d’interprétation »

Peux-tu brièvement nous décrire ton parcours avant le Master ?

J’ai été institutrice pendant 5 ans (après avoir fait l’Ecole Normale d’Instituteurs). J’ai découvert la LSF dans les cours de récréation d’une école de Créteil, dans les années 80, je m’étais dit à l’époque qu’un jour j’apprendrai la langue des signes.

Puis je suis devenue conceptrice de produits de formation multimédia dans une entreprise privée pendant 5 ans après avoir obtenu une maîtrise de Sciences de l’Education en cours du soir. Licenciée économique, mon désir d’apprendre la LSF revient en force. En 1995, je rentre à SERAC pour obtenir le diplôme en 1996. Je travaille en tant qu’interprète à Paris jusqu’en 2003, essentiellement au Centre de Promotion Sociale des Adultes Sourds (CPSAS) et à l'institut Gustave Baguer, puis je quitte Paris pour Marseille et l’UASS-LS (Unité d'accueil et de Soins des Sourds) qui ouvre ses portes.

En 2006, je fais une demande d’équivalence pour le Master interprétariat de Lille 3.

 

 

Qu'est-ce qui t'a plu dans cette formation ?

J’ai choisi cette formation car c’était la première université à mettre en place le système d’équivalence.

J'ai apprécié le fait de revenir en formation après tant d’années, de travailler la linguistique de la LSF car j’avais eu très peu de cours de linguistique à SERAC, et d'avoir l’opportunité de prendre du recul sur ma pratique. Je dirais que cette période a été très agréable pour moi : je prenais le train (5h), je quittais le travail pour lire, réfléchir à ma pratique, je rompais avec le monde du travail tout en y gardant un pied puisque mon mémoire était directement lié à ma pratique professionnelle à l’hôpital. Ce temps dédié à la réflexion sur ma pratique a été des plus enrichissants.

Comment qualifierais-tu la vie lilloise et l'ambiance dans ta promotion ?

J'ai peu profité de la vie lilloise mais suffisamment pour trouver le centre-ville très agréable et propre comparé à celui de Marseille ! Je ne restais pas plus que nécessaire, mon fils n’avait alors que 2 ans.

Je me souviens d’un petit groupe, d’une ambiance studieuse. Ma place y était particulière : j’étais la seule à être diplômée, et depuis déjà 10 ans ! J’étais également bien sûr la plus âgée du groupe. Je faisais en quelque sorte un retour en arrière tout en apprenant de nouveau. Venant de loin, les cours que je devais suivre étaient regroupés sur 2 jours. Mon plus gros travail a été la rédaction de mon mémoire.

 

Quelles sont les spécificités du métier d'interprète en hôpital?

Le temps d’attente ! Sans plaisanter, les interprètes hospitaliers attendent beaucoup les patients comme les médecins. La gestion de leur planning est très difficile et encore davantage pour peu que l’interprète se déplace sur plusieurs sites, ce qui est le cas à Marseille. Les médecins n’attendent parfois pas l’interprète, les patients non plus. Il est à noter que 20 à 25% des rendez-vous ne sont pas honorés , que cela soit dû à une annulation ou tout simplement à des patients qui ne sont pas venus.
 

Nous accueillons beaucoup de patients en difficulté sociale, avec des niveaux de langues très divers, et souvent une méconnaissance du contexte hospitalier. Il me semble que la prise en compte par l’interprète de la compréhension du patient est plus aigüe que dans la plupart des situations d’interprétation, ceci étant lié aux conséquences directes que peut avoir un malentendu. Notre travail doit aider à un bon parcours de soin. Même si ce n’est pas directement le travail de l’interprète, celui-ci est un maillon de la chaîne. Le patient par définition est souvent en situation de fragilité, ce dont il faut tenir compte.

Où en es-tu aujourd'hui ? Aimes-tu ton travail?

Je travaille à l’hôpital à 80%. Le reste du temps, j’interviens comme interprète expert près la Cour d’Appel, comme vacataire en auto-entrepreneur, ou bien je me repose ! J’aime mon travail même si l’hôpital est parfois pesant. Une convergence de points de vue est primordiale en institution, et particulièrement à l’hôpital (il faut continuer à prendre soin de soi). Sans une bonne entente dans l’équipe, la prise en charge du patient et notre santé peuvent en pâtir.

 

Le métier a-t-il évolué depuis que tu l'exerces ?

Il y a une concurrence forte entre auto-entrepreneurs, ce qui n’existait pas quand j’ai commencé le métier. Je pense que ce statut n’est adapté qu’aux interprètes qui cherchent un complément de travail. Il n’est pas adapté aux jeunes diplômés. Il privilégie rarement le travail en binôme, il n’y a pas de travail d’équipe, ce qui est regrettable.

Du point de vue de la communauté sourde à Marseille, je suis attristée de constater que les sourds militants et acteurs de leur histoire sont très minoritaires. Les sourds ne semblent pas s’emparer pleinement des dispositifs qui sont mis en place, et rechignent encore à payer un interprète, qui ne leur apparait pas toujours comme un élément d’émancipation.

 

La spécificité du travail de l’interprète hospitalier est également liée à la présence de l’intermédiateur. S’il est indéniable que ce dernier a sa place dans certaines situations de communication, se pose en parallèle la question suivante : où s’arrête le rôle de l’interprète et où commence celui de l’intermédiateur ?