Blog du Master Interprétariat français/LSF

« Traduire, ce n’est rien d’autre que de raconter une histoire »


Interprète et formateur, Patrick Gache a décidé « d’officialiser » sa longue pratique du métier par la Validation des Acquis de l'Expérience. Il a obtenu son diplôme d’interprète Français – Langue des Signes Française en 2005 à l'Université de Lille. Il nous relate ici son étonnant parcours.

 

«  L’écriture du mémoire a indéniablement été une étape importante dans ma vie professionnelle »

Pouvez-vous brièvement nous décrire votre parcours avant le Master ?

Je dois préciser ici que mes parents étaient Sourds. La LS était la langue que nous parlions à la maison mon frère aîné, ma sœur cadette et moi avec nos parents, au sein de la cellule familiale, mais aussi dans une famille plus élargie pour partie, oncles et tantes du côté de mon père, et également auprès d’un réseau d’amis Sourds. Mes parents, nous amenaient partout où ils allaient, mon frère, ma sœur et moi. Mon père était un conteur formidable et nous étions au premier rang.

Ça ne s’est pas arrêté là. Très jeune, vers dix-sept ans, voulant gagner quelques sous en plus de mon maigre salaire d’apprenti photographe, j’ai travaillé auprès des Sourds de Paris et de ses alentours. J’ai couvert ainsi de nombreux événements culturels des Sourds, c’est-à-dire bals et banquets ! Je photographiais les gens, puis exposais mes photos à la première occasion, à une autre fête, un autre bal, et prenais les commandes. Je n’en avais pas idée à l’époque mais ces bains de langue, où on ne parlait pas que de mes photos, loin s’en faut, en dehors de la famille et des amis proches de la famille, m’ont permis d’atteindre un bon niveau de LS. J’ai continué à mener cette activité de photographe chez les Sourds encore quelques années après la fin de mon apprentissage.

Avant de me lancer dans l’interprétation, j’avais donc exercé un premier métier, celui de photographe pendant près de quatorze ans. Après divers emplois de laborantin et photographe, je m’étais mis à mon compte en adoptant le statut d’artisan. Quelques années plus tard, en 1990, je procédais à une cessation d’activité. C’est en 1987, deux années après m’être installé à Toulouse – je suis originaire de la région parisienne, et un an après avoir pris conscience de la « Cause Sourde », c’est là que ma nouvelle vocation a pris naissance, que j’ai embrassé la profession d’interprète en me formant sur le tas,grâce à beaucoup de pratique, de lectures et de discussions. Pendant plus de trois ans, j’avais donc mené de front ces deux activités professionnelles.

Peu de temps après, tout en ayant une activité d’interprète à plein temps et une vie de famille, je me suis inscrit à des cours du soir pour préparer l’ESEU (Examen Spécial d’Entrée à l’Université, soit l’équivalent du bac). Puis en suivant, j’ai fait un Deug de Sociologie avec Linguistique en mineur.

Plus tard, après dix-huit ans de pratique d’interprétation et traduction ; après avoir travaillé au sein du CA de l’AFILS (Association Française des Interprètes et traducteurs en Langue des Signes) pendant dix ans ; après avoir œuvré à la création et au développement du premier service d’interprète à Toulouse, ILS, Interpréter en Langue des Signes, puis du second - INTERPRETIS -dans lequel je suis toujours salarié-associé ; après également avoir exercé le métier de formateur à Serac de 1996 à 2003 et participé activement à la mise en place de la formation universitaire d’interprètes et traducteurs français-LS, l’IUP traduction Interprétation à l’université Toulouse-le-Mirail en 2003 (devenu depuis le Cetim et dans lequel je suis toujours formateur), Alain Bacci et moi avons souhaité valider cette expérience professionnelle par un diplôme universitaire d’interprète… Cela nous paraissant la moindre des choses.

Pourquoi avez-vous choisi la formation de Lille ?

Il s’agissait de choisir une formation où Alain et moi n’étions impliqués d’aucune manière. Le choix s’est porté sur Lille 3. Lors d’un colloque, si je me souviens bien, Alain et moi avons eu l’opportunité de rencontrer Georgette Dal, à qui nous avons aussitôt proposé nos candidatures. Nous avons été dispensés de tous les cours et seulement tenus de présenter un mémoire… Ce que nous avons fait l’un et l’autre en septembre 2005

Pouvez-vous nous faire part d'un souvenir marquant lors de votre formation ?

Inscrit à Lille 3 pendant une année, seule la production et présentation d’un mémoire étaient demandées. Si dans le courant de l’année j’avais rassemblé quelques notes, écrit des bouts et des morceaux, parcouru quelques bouquins, c’est pendant mes vacances d’été en famille, passée en partie dans un camping, que j’ai rédigé mon mémoire. Je devais consacrer chaque jour quelques heures d’écriture sur un ordinateur portable mais qui ne tenait plus la charge. Alors, c’est dans un café-restaurant alentour que je venais passer une partie de l’après-midi, à travailler sur mon ordinateur branché sur secteur.

Pour la soutenance de nos mémoires, Alain et moi nous sommes rendus à Lille. C’est la seule fois où nous y avons mis les pieds à cette période. J’avais connu cette ville au tout début des années 80, elle m’avait paru triste et lugubre. Je redécouvrais alors Lille, colorée, vivante et joyeuse. J’en garde un excellent souvenir et ai eu quelques occasions d’y retourner depuis avec grand plaisir.

 

De quoi traitait votre mémoire ? ce travail de recherche vous a-t-il été bénéfique ?

Traduction : Français écrit, LS-Vidéo, voilà le titre de mon mémoire. L’élaboration de celui-ci n’a pas véritablement été l’objet d’une recherche, mais d’une réflexion et pratique menées durant des années au sein d’ILS puis d’INTERPRETIS. L’écriture du mémoire a indéniablement été une étape importante dans ma vie professionnelle, aujourd’hui encore je me félicite de cette démarche. Ce mémoire me sert encore de support dans mes activités de formateur. Oui, s’il est vrai que ma pratique de formateur a toujours été nourrie par celle du terrain – c’est d’ailleurs clairement ce que me demandait Christian Cuxac à Serac en 1996 –, très vite ma pratique de formateur est venue nourrir à son tour celle du terrain. Ce va-et-vient n’aura cessé tout le long de ma carrière…

L’écriture du mémoire a indéniablement été une étape importante dans ma vie professionnelle

Vous êtes vous-même formateur d'interprètes : quels conseils pouvez-vous donner aux étudiants qui se destinent à ce métier ?

1) Lire mon mémoire ! Je plaisante mais pas complètement. Quand on demande à de nombreux interprètes quelles sont les trois données fondamentales de l’interprétation, on s’entend répondre : fidélité, neutralité et secret professionnel ! Alors que la réponse attendue est : communication, opérations linguistique et culturelle. La déontologie n’est là que pour encadrer cette activité et n’a pour finalité que d’instaurer une confiance avec les usagers, leur donnant ainsi toute liberté de parole.

2) Pendant la formation, beaucoup utiliser la vidéo. La LS, pour la plupart des étudiants, n’est pas une langue première. Il s’agit pourtant d’atteindre un bon niveau de langue et on y parvient aussi en développant sa capacité d’auto-feedback, la vidéo peut y contribuer beaucoup. Pour mieux me faire comprendre : lorsqu’on s’exprime en français, c’est immédiatement qu’on perçoit si c’est correct ou non… Beaucoup moins évident en LS. Il faut donc se voir pédaler.

3) Pendant et après la formation, toujours rester très attentif aux retours que peuvent faire les usagers, Sourds comme Entendants. On le demande aisément à ses collègues mais plus rarement aux usagers. Ne pas hésiter à demander, si la situation le permet : « ça va, ai-je été assez clair ? … Parce qu'à tel moment, ça été un peu difficile pour moi… Qu’en dites-vous ? », les remarques qui peuvent être faites sont alors parfois très instructives, même si quelquefois formulées un peu maladroitement. Ces retours constituent un indicateur précieux sur sa pratique. Et puis ça participe à établir un lien de confiance avec les usagers.

Les remarques des usagers sont parfois très instructives

4) Enfin, si j’ai pu durer dans ce métier, c’est parce que j’ai toujours fait partie d’un collectif, d’un service d’interprètes qui est centre de ressource. L’essor de l’auto-entreprenariat dans notre profession n’est pas sans m’inquiéter.

Où en êtes-vous aujourd'hui ? Aimez-vous votre travail ?

Voilà trente-deux ans que je pratique le métier… Comme le temps passe vite ! Je reste enthousiaste, on s’en aperçoit dès que je suis amené à parler de ce que je fais… Mais voilà déjà que j’arrive à la fin de ma carrière. Ayant commencé à travailler jeune, je suis considéré comme ayant eu une carrière longue et vais bientôt pouvoir partir à la retraite. J’ai hâte, j’ai un tas de projets… J’espère continuer quelques activités de traduction, notamment vers la LS. Raconter des histoires, j’adore ça. C’est d’ailleurs aussi pour ça que j’aime le métier, car finalement, chaque fois qu’on traduit quelque chose, vers le français comme vers la LS, il me semble que ce n’est rien d’autre que de raconter une histoire.